Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée

homme qui m’honoroit de son amitié passer dans sa famille & chez ses amis pour un esprit borné : cette excellente tête se mûrissoit en silence. Tout à coup il s’est montré philosophe, & je ne doute pas que la postérité ne lui marque une place honorable & distinguée parmi les meilleurs raisonneurs et les plus profonds métaphysiciens de son siècle.

Respectez l’enfance, & ne vous pressez point de la juger, soit en bien, soit en mal. Laissez les exceptions s’indiquer, se prouver, se confirmer longtemps avant d’adopter pour elles des méthodes particulières. Laissez longtemps agir la nature, avant de vous mêler d’agir à sa place, de peur de contrarier ses opérations. Vous connaissez, dites-vous, le prix du temps & n’en voulez point perdre. Vous ne voyez pas que c’est bien plus le perdre d’en mal user que de n’en rien faire, et qu’un enfant mal instruit est plus loin de la sagesse que celui qu’on n’a point instruit du tout. Vous êtes alarmé de le voir consumer ses premières années à ne rien faire. Comment ! n’est-ce rien que d’être heureux ? n’est-ce rien que de sauter, jouer, courir toute la journée ? De sa vie il ne sera si occupé. Platon, dans sa République, qu’on croit si austère, n’élève les enfans qu’en fêtes, jeux, chansons, passe-tems ; on diroit qu’il a tout fait quand il leur a bien appris à se réjouir ; et Sénèque, parlant de l’ancienne jeunesse romaine : Elle était, dit-il, toujours debout, on ne lui enseignoit rien qu’elle dût apprendre assise. En valoit-elle moins, parvenue à l’âge viril ? Effrayez-vous donc peu de cette oisiveté prétendue. Que diriez-vous d’un homme qui, pour mettre toute la vie à profit ne voudroit jamais dormir ? Vous