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car il importe qu’il ne s’accoutume pas à regarder les devoirs des hommes seulement comme des devoirs d’enfants. Que si, me voyant assister les pauvres, il me questionne là-dessus, & qu’il soit temps de lui répondre [1], je lui dirai : « Mon ami, c’est que quand les pauvres ont bien voulu qu’il y eût des riches, les riches ont promis de nourrir tous ceux qui n’auraient de quoi vivre ni par leur bien ni par leur travail. Vous avez donc aussi promis cela ?" reprendra-t-il. "Sans doute ; je ne suis maître du bien qui passe par mes mains qu’avec la condition qui est attachée a sa propriété. »

Après avoir entendu ce discours, & l’on a vu comment on peut mettre un enfant en état de l’entendre, un autre qu’Emile seroit tenté de m’imiter & de se conduire en homme riche ; en pareil cas, j’empêcherais au moins que ce ne fût avec ostentation ; j’aimerais mieux qu’il me dérobât mon droit & se cachât pour donner. C’est une fraude de son âge, & la seule que je lui pardonnerais.

Je sais que toutes ces vertus par imitation sont des vertus de singe, & que nulle bonne action n’est moralement bonne que quand on la fait comme telle, & non parce que d’autres la font. Mais, dans un âge où le cœur ne sent rien encore, il faut bien faire imiter aux enfans les actes dont on veut leur donner l’habitude, en attendant qu’ils les puissent faire

  1. On doit concevoir que je ne résous pas ses questions quand il lui plaît, mais quand il me plaît ; autrement ce seroit m’asservir à ses volontés, & me mettre dans la plus dangereuse dépendance ou un gouverneur puisse être de son élève.