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enfant donneroit plutôt cent louis qu’un gâteau. Mais engagez ce prodigue distributeur à donner les choses qui lui sont chères, des jouets, des bonbons, son goûté, & nous saurons bientôt si vous l’avez rendu vraiment libéral.

On trouve encore un expédient à cela, c’est de rendre bien vite à l’enfant ce qu’il a donné, de sorte qu’il s’accoutume à donner tout ce qu’il sait bien qui lui va revenir. Je n’ai gueres vu dans les enfans que ces deux especes de générosité ; donner ce qui ne leur est bon à rien, ou donner ce qu’ils sont sûrs qu’on va leur rendre. Faites en sorte, dit Locke, qu’ils soient convaincus par expérience que le plus libéral est toujours le mieux partagé. C’est là rendre un enfant libéral en apparence, & avare en effet. Il ajoute que les enfans contracteront ainsi l’habitude de la libéralité ; oui, d’une libéralité usuriere, qui donne un œuf pour avoir un bœuf. Mais quand il s’agira de donner tout de bon, adieu l’habitude ; lorsqu’on cessera de leur rendre, ils cesseront bientôt de donner. Il faut regarder à l’habitude de l’ame plutôt qu’à celle des mains. Toutes les autres vertus qu’on apprend aux enfants ressemblent à celle-là, & c’est à leur prêcher ces solides vertus qu’on use leurs jeunes ans dans la tristesse. Ne voilà-t-il pas une savante éducation !

Maîtres, laissez les simagrées, soyez vertueux & bons ; que vos exemples se gravent dans la mémoire de vos Éleves, en attendant qu’ils puissent entrer dans leur cœurs. Au lieu de me hâter d’exiger du mien des actes de charité, j’aime mieux les faire en sa présence, & lui ôter même le moyen de m’imiter en cela, comme un honneur qui n’est pas de son âge ;