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émile, ou de lui dire : Est-ce vous [1] ? Car en cela que ferois-je autre chose, sinon lui apprend à le nier ? Que si son naturel difficile me force à avec lui quelque convention, je prendrai si bien mes mesures que la proposition en vienne toujours de lui, jamais de moi ; que, quand il s’est engagé, il ait toujours un intérêt présent & sensible à remplir son engagement ; & qui, si jamais il y manque, ce mensonge attire sur lui des maux qu’il voie sortir de l’ordre même des choses, & non pas de la vengeance de son gouverneur. Mais, loin besoin de recourir à de si cruels expédients, je suis presque sûr qu’Emile apprendra fort tard ce que c’est que mentir, & qu’en l’apprenant il sera fort étonné, ne pouvant concevoir à quoi peut être bon le mensonge. Il est il très clair que plus je rends son bien-être indépendant, soit des volontés, soit des jugements des autres, plus je coupe en lui tout intérêt de mentir.

Quand on n’est point pressé d’instruire, on point pressé d’exiger, & l’on prend son temps pour ne rien exiger qu’à propos. Alors l’enfant se forme, en qu’il ne se gâte point. Mais, quand un étourdi de précepteur, ne sachant comment s’y prendre, lui fait à chaque instant promettre ceci ou cela, sans distinction, sans choix sans mesure, l’enfant, ennuyé, surchargé de toutes ces promesses, les

  1. Rien n’est plus indiscret qu’une pareille question, surtout quand l’enfant est coupable : alors, s’il croit que vous savez ce qu’il a fait, il verra que vous lui tendez un piège, & cette opinion ne peut manquer de l’indisposer contre vous. S’il ne le croit pas, il se dira découvrirois-je ma faute ? Et voilà la première tentation du mensonge devenue l’effet de votre imprudente question.