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Au reste, il importe que toutes les naÏvetés que peut produite dans un enfant la simplicité des idées dont il est nourri, ne soient jamais relevées en sa présence, ni citées de manière qu’il puisse l’rendre. Un éclat de rire indiscret peut gâter le travail de six mois, & faire un tort irréparable pour toute la vie. Je ne puis assez redire que pour être le maître de l’enfant, il faut être son propre maître. Je me représente mon petit émile, au fort d’une rixe entre deux voisines, s’avançant vers la lus furieuse, & lui disant d’un ton de commisération : Ma bonne, vous êtes malade, j’en suis bien fâché. À coup sûr, cette saillie ne restera pas sans effet sur les spectateurs, ni peut-être sur les actrices. Sans rire, sans le gronder, sans le louer, je l’emmène de ou de force avant qu’il puisse apercevoir cet effet, ou témoins avant qu’il y pense, & je me hâte de le distraire sur d’autres objets qui le lui fassent bien vite oublier.

Mon dessein n’est point d’entrer dans tous les détails, mais seulement d’exposer les maximes générales, & de donner des exemples dans les occasions difficiles. Je tiens pour impossible qu’au sein de la société l’on puisse amener un enfant à l’âge de douze ans, sans lui donner qu’l’idée des rapports d’homme à homme, & de la moralité que actions humaines. Il suffit qu’on s’applique à lui rendre ces notions nécessaires le plus tard qu’il se pourra, & que, quand elles deviendront inévitables, on les borne à l’utilité présente, seulement pour qu’il ne se croie pas le maître de tout, & qu’il ne fasse pas du mal à autrui sans scrupule & sans le savoir. Il y a des caractères doux & tranquilles qu’on peut mener