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réponse est simple ; elle se tire des objets mêmes qui frappent ses sens. Il voit un visage enflammé, des yeux étincelans, un geste menaçant, il entend des cris ; tous signes que le corps n’est pas dans son assiette. Dites-lui posément, sans affectation, sans mystere ; ce pauvre homme est malade, il est dans un accès de fievre. Vous pouvez de-là tirer occasion de lui donner, mais en peu de mots, une idée des maladies & de leurs effets : car cela aussi est de la nature, & c’est un des liens de la nécessité auxquels il se doit sentir assujetti.

Se peut-il que sur cette idée, qui n’est pas fausse, il ne contracte pas de bonne heure une certaine répugnance à se livrer aux excès des passions, qu’il regardera comme des maladies ? & croyez-vous qu’une pareille notion donnée à propos ne produira pas un effet aussi salutaire que le plus ennuyeux sermon de morale ? Mais voyez dans l’avenir les conséquences de cette notion ! vous voilà autorisé, si jamais vous y êtes contraint, à traiter un enfant mutin comme un enfant malade ; à l’enfermer dans sa chambre, dans son lit s’il le faut ; à le tenir au régime, à l’effrayer lui-même de ses vices naissans, à les lui rendre odieux & redoutables, sans que jamais il puisse regarder comme un châtiment la sévérité dont vous serez peut-être forcé d’user pour l’en guérir. Que s’il vous arrive à vous-même, dans quelque moment de vivacité, de sortir du sang-froid & de la modération dont vous devez faire votre étude, ne cherchez point à lui déguiser votre faute : mais dites-lui franchement avec un tendre reproche : mon ami, vous m’avez fait mal.