pouviez amener votre Éleve sain & robuste à l’âge de douze ans, sans qu’il sçût distinguer sa main droite de sa main gauche, dès vos premieres leçons, les yeux de son entendement s’ouvriroient à la raison ; sans préjugé, sans habitude, il n’auroit rien en lui qui pût contrarier l’effet de vos soins. Bientôt il deviendroit entre vos mains le plus sage des hommes, & en commençant par ne rien faire, vous auriez fait un prodige d’éducation.
Prenez le contre-pied de l’usage, & vous ferez presque toujours bien. Comme on ne veut pas faire d’un enfant un enfant, mais un Docteur, les peres & les maîtres n’ont jamais assez-tôt tancé, corrigé, réprimandé, flatté, menacé, promis, instruit, parlé raison. Faites mieux : soyez raisonnable, & ne raisonnez point avec votre Éleve, sur-tout pour lui faire approuver ce qui lui déplaît ; car amener ainsi toujours la raison dans les choses désagréables, ce n’est que la lui rendre ennuyeuse, & la décréditer de bonne heure dans un esprit qui n’est pas encore en état de l’entendre. Exercez son corps, ses organes, ses sens, ses forces, mais tenez son ame oisive aussi long-tems qu’il se pourra. Redoutez tous les sentimens antérieurs au jugement qui les apprécie. Retenez, arrêtez les impressions étrangères : & pour empêcher le mal de naître, ne vous pressez point de faire le bien ; car il n’est jamais tel que quand la raison l’éclaire. Regardez tous les délais comme des avantages ; c’est gagner beaucoup que d’avancer vers le terme sans rien perdre ; laissez meurir l’enfance dans les enfans. Enfin, quelque leçon leur devient-elle nécessaire ? gardez-vous de la donner