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d’être hommes. Si nous voulons pervertir cet ordre, nous produirons des fruits précoces qui n’auront ni maturité ni saveur, & ne tarderont pas à se corrompre : nous aurons de jeunes docteurs & de vieux enfans. L’enfance a des manieres de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres ; rien n’est moins sensé que d’y vouloir substituer les nôtres ; & j’aimerois autant exiger qu’un enfant eût cinq pieds de haut, que du jugement à dix ans. En effet, à quoi lui serviroit la raison à cet âge ? Elle est le frein de la force, & l’enfant n’a pas besoin de ce frein.

En essayant de persuader à vos Éleves le devoir de l’obéissance, vous joignez à cette prétendue persuasion la force & les menaces, ou, qui pis est, la flatterie et les promesses. Ainsi donc, amorcés par l’intérêt, ou contraints par la force, ils font semblant d’être convaincus par la raison. Ils voient très-bien que l’obéissance leur est avantageuse, & la rebellion nuisible, aussi-tôt que vous vous appercevez de l’une ou de l’autre. Mais comme vous n’exigez rien d’eux qui ne leur soit désagréable, & qu’il est toujours pénible de faire les volontés d’autrui, ils se cachent pour faire les leurs, persuadés qu’ils font bien si l’on ignore leur désobéissance, mais prêts à convenir qu’ils font mal, s’ils sont découverts, de crainte d’un plus grand mal. La raison du devoir n’étant pas de leur âge, il n’y a homme au monde qui vînt à bout de la leur rendre vraiment sensible : mais la crainte du châtiment, l’espoir du pardon, l’importunité, l’embarras de répondre, leur arrachent tous les aveux qu’on exige, & l’on croit les avoir