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force humaine ne pût vaincre, la dépendance des hommes redeviendroit alors celle des choses ; on réuniroit dans la République tous les avantages de l’état naturel à ceux de l’état civil ; on joindroit à la liberté qui maintient l’homme exempt de vices, la moralité qui l’éleve à la vertu.

Maintenez l’enfant dans la seule dépendance des choses ; vous aurez suivi l’ordre de la nature dans le progrès de son éducation. N’offrez jamais à ses volontés indiscretes que des obstacles physiques ou des punitions qui naissent des actions mêmes & qu’il se rappelle dans l’occasion : sans lui défendre de mal faire, il suffit de l’en empêcher. L’expérience ou l’impuissance doivent seules lui tenir lieu de loi. N’accordez rien à ses desirs parce qu’il le demande, mais parce qu’il en a besoin. Qu’il ne sache ce que c’est qu’obéissance quand il agit, ni ce que c’est qu’empire quand on agit pour lui. Qu’il sente également sa liberté dans ses actions & dans les vôtres. Suppléez à la force qui lui manque, autant précisément qu’il en a besoin pour être libre & non pas impérieux ; qu’en recevant vos services avec une sorte d’humiliation, il aspire au moment où il pourra s’en passer, & où il aura l’honneur de se servir lui-même.

La nature a, pour fortifier le corps & le faire croître, des moyens qu’on ne doit jamais contrarier. Il ne faut point contraindre un enfant de rester quand il veut aller, ni d’aller quand il veut rester en place. Quand la volonté des enfans n’est point gâtée par notre faute, ils ne veulent rien inutilement. Il faut qu’ils sautent, qu’ils courent, qu’ils crient quand ils en ont envie. Tous leurs mouvemens