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de la conscience, tous nos maux sont imaginaires. Ce principe est commun, dira-t-on : j’en conviens. Mais l’application pratique n’en est pas commune ; & c’est uniquement de la pratique qu’il s’agit ici.

Quand on dit que l’homme est foible, que veut-on dire ? Ce mot de foiblesse indique un rapport ; un rapport de l’être auquel on l’applique. Celui dont la force passe les besoins, fût-il un insecte, un ver, est un être fort : celui dont les besoins passent la force, fût-il un éléphant, un lion ; fût-il un Conquérant, un Héros ; fût-il un Dieu, c’est un être foible. L’Ange rebelle qui méconnut sa nature étoit plus foible que l’heureux mortel qui vit en paix selon la sienne. L’homme est très-fort quand il se contente d’être ce qu’il est : il est très-foible quand il veut s’élever au-dessus de l’humanité. N’allez donc pas vous figurer qu’en étendant vos facultés vous étendez vos forces ; vous les diminuez, au contraire, si votre orgueil s’étend plus qu’elles. Mesurons le rayon de notre sphere, & restons au centre, comme l’insecte au milieu de sa toile : nous nous suffirons toujours à nous-mêmes, & nous n’aurons point à nous plaindre de notre foiblesse, car nous ne la sentirons jamais.

Tous les animaux ont exactement les facultés nécessaires pour se conserver. L’homme seul en a de superflues. N’est il pas bien étrange que ce superflu soit l’instrument de sa misere ? Dans tout pays les bras d’un homme valent plus que sa subsistance. S’il étoit assez sage pour compter ce superflu pour rien, il auroit toujours le nécessaire, parce qu’il n’auroit jamais rien de trop. Les grands besoins, disoit