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ses jeux, ses plaisirs, son aimable instinct. Qui de vous n’a pas regretté quelquefois cet âge où le rire est toujours sur les levres, & où l’ame est toujours en paix ? Pourquoi voulez-vous ôter à ces petits innocens la jouissance d’un tems si court qui leur échappe, & d’un bien si précieux dont ils ne sauroient abuser ? Pourquoi voulez-vous remplir d’amertume & de douleurs ces premiers ans si rapides, qui ne reviendront pas plus pour eux qu’ils ne peuvent revenir pour vous ? Peres, savez-vous le moment où la mort attend vos enfans ? Ne vous préparez pas des regrets en leur ôtant le peu d’instans que la nature leur donne : aussi-tôt qu’ils peuvent sentir le plaisir d’être, faites qu’ils en jouissent ; faites qu’à quelque heure que Dieu les appelle, ils ne meurent point sans avoir goûté la vie.

Que de voix vont s’élever contre moi ! J’entends de loin les clameurs de cette fausse sagesse qui nous jette incessamment hors de nous, qui compte toujours le présent pour rien, & poursuivant sans relâche un avenir qui fuit à mesure qu’on avance, à force de nous transporter où nous ne sommes pas, nous transporte où nous ne serons jamais.

C’est, me répondez-vous, le tems de corriger les mauvaises inclinations de l’homme ; c’est dans l’âge de l’enfance, où les peines sont le moins sensibles, qu’il faut les multiplier pour les épargner dans l’âge de raison. Mais qui vous dit que tout cet arrangement est à votre disposition, & que toutes ces belles instructions dont vous accablez le foible esprit d’un enfant, ne lui seront pas un jour plus pernicieuses qu’utiles ? Qui vous assure que vous épargnez quel-