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de chaque homme en particulier ; très-peu parviennent à ce plus long terme. Les plus grands risques de la vie sont dans son commencement ; moins on a vécu, moins on doit espérer de vivre. Des enfants qui naissent, la moitié, tout au plus, parvient à l’adolescence, & il est probable que votre Éleve n’atteindra pas l’âge d’homme.

Que faut-il donc penser de cette éducation barbare qui sacrifie le présent à un avenir incertain, qui charge un enfant de chaînes de toute espece, & commence par le rendre misérable pour lui préparer au loin je ne sais quel prétendu bonheur dont il est à croire qu’il ne jouira jamais ? Quand je supposerois cette éducation raisonnable dans son objet, comment voir sans indignation de pauvres infortunés soumis à un joug insupportable, & condamnés à des travaux continuels comme des galériens, sans être assuré que tant de soins leur seront jamais utiles ? L’âge de la gaieté se passe au milieu des pleurs, des châtimens, des menaces, de l’esclavage. On tourmente le malheureux pour son bien, & l’on ne voit pas la mort qu’on appelle, & qui va le saisir au milieu de ce triste appareil. Qui sait combien d’enfans périssent victimes de l’extravagante sagesse d’un pere ou d’un maître ? Heureux d’échapper à sa cruauté, le seul avantage qu’ils tirent des maux qu’il leur a fait souffrir, est de mourir sans regretter la vie, dont ils n’ont connu que les tourmens.

Hommes, soyez humains, c’est votre premier devoir : soyez-le, pour tous les états, pour tous les âges, pour tout ce qui n’est pas étranger à l’homme. Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de l’humanité ? Aimez l’enfance ; favorisez