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les lieux pavés, & l’on ne fera qu’y passer en hâte [1]. Au lieu de le laisser croupir dans l’air usé d’une chambre, qu’on le mène journellement au milieu d’un pré. Là qu’il coure, qu’il s’ébatte, qu’il tombe cent fois le jour, tant mieux : il en apprendra plutôt à se relever. Le bien-être de la liberté rachete beaucoup de blessures. Mon Éleve aura souvent des contusions ; en revanche il sera toujours gai : si les vôtres en ont moins, ils sont toujours contrariés, toujours enchaînés, toujours tristes. Je doute que le profit soit de leur côté.

Un autre progrès rend aux enfans la plainte moins nécessaire, c’est celui de leurs forces. Pouvant plus par eux-mêmes, ils ont un besoin moins fréquent de recourir à autrui. Avec leur force se développe la connoissance qui les met en état de la diriger. C’est à ce second degré que commence proprement la vie de l’individu : c’est alors qu’il prend la conscience de lui-même. La mémoire étend le sentiment de l’identité sur tous les momens de son existence ; il devient véritablement un, le même, & par conséquent déjà capable de bonheur ou de misere. Il importe donc de commencer à le considérer ici comme un être moral.

Quoiqu’on assigne à peu près le plus lon[g] terme de la vie humaine & les probabilités qu’on a d’approcher de ce terme à chaque âge, rien n’est plus incertain que la durée de la vie

  1. (1) Il n’y a rien de plus ridicule & de plus mal assuré que la démarche des gens qu’on a trop menés par la lisiere étant petits ; c’est encore ici une de ces observations triviales à force d’être justes, & qui sont justes en plus d’un sens.