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savoir. Il semble que les enfans ne soient petits & foibles que pour prendre ces importantes leçons sans danger. Si l’enfant tombe de son haut il ne se cassera pas la jambe ; s’il se frappe avec un bâton il ne se cassera pas le bras ; s’il saisit un fer tranchant, il ne serrera gueres, & ne se coupera pas bien avant. Je ne sache pas qu’on ait jamais vu d’enfant en liberté se tuer, s’estropier ni se faire un mal considérable, à moins qu’on ne l’ait indiscretement exposé sur des lieux élevés, ou seul autour du feu, ou qu’on n’ait laissé des instruments dangereux à sa portée. Que dire de ces magasins de machines, qu’on rassemble autour d’un enfant pour l’armer de toutes pieces contre la douleur, jusqu’à ce que devenu grand, il reste à sa merci, sans courage & sans expérience, qu’il se croie mort à la premiere piquure, & s’évanouisse en voyant la premiere goutte de son sang ?

Notre manie enseignante & pédantesque est toujours d’apprendre aux enfans ce qu’ils apprendroient beaucoup mieux d’eux-mêmes, & d’oublier ce que nous aurions pu seuls leur enseigner. Y a-t-il rien de plus sot que la peine qu’on prend pour leur apprendre à marcher, comme si l’on en avoit vu quelqu’un, qui par la négligence de sa nourrice ne sçût pas marcher étant grand ? Combien voit-on de gens au contraire marcher mal toute leur vie, parce qu’on leur a mal appris à marcher ?

Émile n’aura ni bourlets, ni paniers roulans, ni charriots, ni lisieres, ou du moins dès qu’il commencera de savoir mettre un pied devant l’autre, on ne le soutiendra que sur