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dit-il, où peut s’arrêter cette augmentation continuelle & réciproque de produit & de cultivateurs. Au contraire, les terrains négligés perdent leur fertilité : moins un pays produit d’hommes, moins il produit de denrées ; c’est le défaut d’habitans qui l’empêche de nourrir le peu qu’il en a & dans toute contrée qui se dépeuple on doit tôt ou tard mourir de faim.

Ayant donc beaucoup de terres & les cultivant toutes avec beaucoup de soin, il leur faut, outre les domestiques de la basse-cour, un grand nombre d’ouvriers à la journée : ce qui leur procure le plaisir de faire subsister beaucoup de gens sans s’incommoder. Dans le choix de ces journaliers, ils préferent toujours ceux du pays & les voisins aux étrangers & aux inconnus. Si l’on perd quelque chose à ne pas prendre toujours les plus robustes, on le regagne bien par l’affection que cette préférence inspire à ceux qu’on choisit, par l’avantage de les avoir sans cesse autour de soi & de pouvoir compter sur eux dans tous les tems, quoiqu’on ne les paye qu’une partie de l’année.

Avec tous ces ouvriers, on fait toujours deux prix. L’un est le prix de rigueur & de droit, le prix courant du pays, qu’on s’oblige à leur payer pour les avoir employés. L’autre, un peu plus fort, est un prix de bénéficence, qu’on ne leur paye qu’autant qu’on est content d’eux ; & il arrive presque toujours que ce qu’ils font pour qu’on le soit vaut mieux que le surplus qu’on leur donne. Car M. de Wolmar est integre & sévere & ne laisse jamais dégénérer en coutume & en abus les institutions de faveur & de grâces. Ces ouvriers ont des surveillans qui les animent & les observent. Ces surveillans