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LETTRE X. DE SAINT PREUX À MILORD EDOUARD.

Que de plaisirs trop tard connus je goûte depuis trois semaines ! La douce chose de couleur ses jours dans le sein d’une tranquille amitié, à l’abri de l’orage des passions impétueuses ! Milord, que c’est un spectacle agréable & touchant que celui d’une maison simple & bien réglée ou regnent l’ordre, la paix, l’innocence ; où l’on voit réuni sans appareil, sans éclat, tout ce qui répond à la véritable destination de l’homme ! La campagne, la retraite, le repos, la saison, la vaste plaine d’eau qui s’offre à mes yeux, le sauvage aspect des montagnes, tout me rappelle ici ma délicieuse île de Tinian. je crois voir accomplir les vœux ardens que j’y formai tant de fois. J’y mene une vie de mon goût, j’y trouve une société selon mon cœur. Il ne manque en ce lieu que deux personnes pour que tout mon bonheur y soit rassemblé & j’ai l’espoir de les y voir bientôt.

En attendant que vous & Madame d’Orbe veniez mettre le comble aux plaisirs si doux & si purs que j’apprends à goûter où je suis, je veux vous en donner idée par le détail d’une économie domestique qui annonce la félicité des maîtres de la maison & la fait partager à ceux qui l’habitent. J’espere, sur le projet qui vous occupe, que mes réflexions pourront un jour avoir leur usage & cet espoir sert encore à les exciter.