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fierté d’âme qui dédaigne les serviles bienséances & sied si bien à la vertu. J’ai été plus timide en cette occasion sans savoir pourquoi ; & tout ce qu’il y a de sûr, c’est que je serais plus portée à me reprocher cette réserve qu’à m’en applaudir.

Mais toi, sais-tu bien pourquoi notre ami s’enduroit si paisiblement ici ? Premierement, il étoit avec moi & je prétends que c’est déjà beaucoup pour prendre patience. Il m’épargnoit des tracas & me rendoit service dans mes affaires ; un ami ne s’ennuie point à cela. Une troisieme chose que tu as déjà devinée, quoique tu n’en fasses pas semblant, c’est qu’il me parloit de toi ; & si nous ôtions le tems qu’à duré cette causerie de celui qu’il a passé ici, tu verrais qu’il m’en est fort peu resté pour mon compte. Mais quelle bizarre fantaisie de s’éloigner de toi pour avoir le plaisir d’en parler ? Pas si bizarre qu’on diroit bien. Il est contraint en ta présence ; il faut qu’il s’observe incessamment ; la moindre indiscrétion deviendroit un crime & dans ces momens dangereux le seul devoir se laisse entendre aux cœurs honnêtes : mais loin de ce qui nous fut cher, on se permet d’y songer encore. Si l’on étouffe un sentiment devenu coupable, pourquoi se reprocherait-on de l’avoir eu tandis qu’il ne l’étoit point ? Le doux souvenir d’un bonheur qui fut légitime peut-il jamais être criminel ? Voilà, je pense, un raisonnement qui t’iroit mal, mais qu’après tout il peut se permettre. Il a recommencé pour ainsi dire la carriere de ses anciennes amours. Sa premiere jeunesse s’est écoulée une seconde fois dans nos entretiens. Il me renouveloit toutes ses confidences ; il rappeloit