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cousine : tout ce que je te dis doit bien te donner du courage, mais non de la témérité. Tes progres sont sensibles & c’est beaucoup. Je ne comptais que sur ta vertu & je commence à compter aussi sur ta raison : je regarde à présent ta guérison sinon comme parfaite, au moins comme facile & tu en as précisément assez fait pour te rendre inexcusable si tu n’acheves pas.

Avant d’être à ton apostille, j’avais déjà remarqué le petit article que tu as eu la franchise de ne pas supprimer ou modifier en songeant qu’il seroit vu de ton mari. Je suis sûre qu’en le lisant il eût, s’il se pouvait, redoublé pour toi d’estime ; mais il n’en eût pas été plus content de l’article. En général, ta lettre étoit tres propre à lui donner beaucoup de confiance en ta conduite, & beaucoup d’inquiétude sur ton penchant. Je t’avoue que ces marques de petite vérole, que tu regardes tant, me font peur ; & jamais l’amour ne s’avisa d’un plus dangereux fard. Je sais que ceci ne seroit rien pour une autre ; mais, cousine, souviens-t’en toujours, celle que la jeunesse & la figure d’un amant n’avoient pu séduire se perdit en pensant aux maux qu’il avoit soufferts pour elle. Sans doute le Ciel a voulu qu’il lui restât des marques de cette maladie pour exercer ta vertu & qu’il ne t’en restât pas pour exercer la sienne.

Je reviens au principal sujet de ta lettre : tu sais qu’à celle de notre ami j’ai volé ; le cas étoit grave. Mais à présent si tu savois dans quel embarras m’a mis cette courte absence & combien j’ai d’affaires à la fois, tu sentirais l’impossibilité où je suis de quitter derechef ma maison, sans m’y donner