Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/537

Cette page n’a pas encore été corrigée

à l’opprobre ; il ne peut plus sortir de mon cœur qu’avec la vertu. Ô Edouard ! quand je redeviendrai méprisable, j’aurai cessé de t’aimer.

Cette retraite fit du bruit : les ames basses, qui jugent des autres par elles-mêmes, ne purent imaginer qu’Edouard n’eût mis à cette affaire que l’intérêt de l’honnêteté. Laure étoit trop aimable pour que les soins qu’un homme prenoit d’elle ne fussent pas toujours suspects. La Marquise qui avoit ses espions fut instruite de tout la premiere & ses emportemens qu’elle ne put contenir acheverent de divulguer son intrigue. Le bruit en parvint au Marquis jusqu’à Vienne ; & l’hiver suivant il vint à Rome chercher un coup d’épée pour rétablir son honneur qui n’y gagna rien.

Ainsi commencerent ces doubles liaisons, qui, dans un pays comme l’Italie, exposerent Edouard à mille périls de toute espece ; tantôt de la part d’un militaire outragé, tantôt de la part d’une femme jalouse & vindicative ; tantôt de la part de ceux qui s’étoient attachés à Laure & que sa perte mit en fureur. Liaisons bizarres s’il en fut jamais, qui, l’environnant de périls sans utilité le partageoient entre deux maîtresses passionnées, sans en pouvoir posséder aucune ; refusé de la courtisane qu’il n’aimoit pas, refusant l’honnête femme qu’il adoroit ; toujours vertueux, il est vrai ; mais croyant toujours servir la sagesse en n’écoutant que ses passions.

Il n’est pas aisé de dire quelle espece de sympathie pouvoit unir deux caracteres si opposés que ceux d’Edouard &