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Songez qu’il vous reste une autre Julie & n’oubliez pas ce que vous lui devez. Chacun de vous va perdre la moitié de sa vie, unissez-vous pour conserver l’autre ; c’est le seul moyen qui vous reste à tous deux de me survivre, en servant ma famille & mes enfans. Que ne puis-je inventer des nœuds plus étroits encore pour unir tout ce qui m’est cher ! Combien vous devez l’être l’un à l’autre ! Combien cette idée doit renforcer votre attachement mutuel ! Vos objections contre cet engagement vont être de nouvelles raisons pour le former. Comment pourrez-vous jamais vous parler de moi sans vous attendrir ensemble ! Non, Claire & Julie seront si bien confondues, qu’il ne sera plus possible à votre cœur de les séparer. Le sien vous rendra tout ce que vous aurez senti pour son amie ; elle en sera la confidente & l’objet : vous serez heureux par celle qui vous restera, sans cesser d’être fidele à celle que vous aurez perdue & après tant de regrets & de peines, avant que l’âge de vivre & d’aimer se passe, vous aurez brûlé d’un feu légitime & joui d’un bonheur innocent.

C’est dans ce chaste lien que vous pourrez sans distractions & sans craintes vous occuper des soins que je vous laisse & après lesquels vous ne serez plus en peine de dire quel bien vous aurez fait ici-bas. Vous le savez, il existe un homme digne du bonheur auquel il ne sait pas aspirer. Cet homme est votre libérateur, le mari de l’amie qu’il vous a rendue. Seul, sans intérêt à la vie, sans attente de celle qui la suit, sans plaisir, sans consolation, sans espoir, il sera bientôt le plus infortuné des mortels. Vous lui devez les