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ressuscitât pour me donner l’horreur de la perdre une seconde fois.

En approchant du logis, je vois un de mes gens accourir à perte d’haleine & s’écrier d’aussi loin que je pus l’entendre : Monsieur, Monsieur, hâtez-vous, Madame n’est pas morte. Je ne compris rien à ce propos insensé : j’accours toutefois. Je vois la cour pleine de gens qui versoient des larmes de joie en donnant à grand cris des bénédictions à Madame de Wolmar. Je demande ce que c’est ; tout le monde est dans le transport, personne ne peut me répondre : la tête avoit tourné à mes propres gens. Je monte à pas précipités dans l’appartement de Julie. Je trouve plus de vingt personnes à genoux autour de son lit & les yeux fixés sur elle. Je m’approche ; je la vois sur ce lit habillée & parée ; le cœur me bat ; je l’examine … Hélas ! elle étoit morte ! Ce moment de fausse joie sitôt & si cruellement éteinte fut le plus amer de ma vie. Je ne suis pas colere : je me sentis vivement irrité. Je voulus savoir le fond de cette extravagante scene. Tout étoit déguisé altéré, changé : j’eus toute la peine du monde à démêler la vérité. Enfin j’en vins à bout ; & voici l’histoire du prodige.

Mon beau-pere, alarmé de l’accident qu’il avoit appris, & croyant pouvoir se passer de son valet de chambre, l’avoit envoyé, un peu avant mon arrivée auprès de lui, savoir des nouvelles de sa fille. Le vieux domestique, fatigué du cheval, avoit pris un bateau ; & traversant le lac pendant la nuit, étoit arrivé à Clarens le matin même de mon retour. En arrivant, il voit la consternation, il en apprend le sujet, il