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Malheureusement, le premier qu’elle aperçut fut précisément la cause innocente de la mort de son amie. Cet aspect la fit frémir. Je vis ses traits s’altérer, ses regards s’en détourner avec une espece d’horreur & ses bras en contraction se raidir pour le repousser. Je tirai l’enfant à moi. Infortuné ! lui dis-je, pour avoir été trop cher à l’une tu deviens odieux à l’autre : elles n’eurent pas en tout le même cœur. Ces mots l’irriterent violemment & m’en attirerent de tres piquants. Ils ne laisserent pourtant pas de faire impression. Elle prit l’enfant dans ses bras & s’efforça de le caresser : ce fut en vain ; elle le rendit presque au même instant. Elle continue même à le voir avec moins de plaisir que l’autre & je suis bien aise que ce ne soit pas celui-là qu’on a destiné à sa fille.

Gens sensibles, qu’eussiez-vous fait à ma place ? Ce que faisoit Madame d’Orbe. Après avoir mis ordre aux enfans, à Madame d’Orbe, aux funérailles de la seule personne que j’aie aimée, il falut monter à cheval & partir, la mort dans le cœur, pour la porter au plus déplorable pere. Je le trouvai souffrant de sa chute, agité, troublé de l’accident de sa fille. Je le laissai accablé de douleur, de ces douleurs de vieillard, qu’on n’aperçoit pas au dehors, qui n’excitent ni gestes, ni cris, mais qui tuent. Il n’y résistera jamais, j’en suis sûr & je prévois de loin le dernier coup qui manque au malheur de son ami. Le lendemain je fis toute la diligence possible pour être de retour de bonne heure & rendre les derniers honneurs à la plus digne des femmes. Mais tout n’étoit pas dit encore. Il faloit qu’elle