Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/505

Cette page n’a pas encore été corrigée

lui manquait, mais ses mains écartées restoient toujours en avant ; ses yeux pétilloient d’impatience ; il n’y avoit pas un muscle de son visage qui ne fût en action. Le médecin ne répond rien, reprend le poignet, examine les yeux, la langue, reste un moment pensif & dit : Madame, je vous entends bien ; il m’est impossible de dire à présent rien de positif ; mais si demain matin à pareille heure elle est encore dans le même état, je réponds de sa vie. À ce moment Claire part comme un éclair, renverse deux chaises & presque la table, saute au cou du médecin, l’embrasse, le baise mille fois en sanglotant & pleurant à chaudes larmes & toujours avec la même impétuosité, s’ôte du doigt une bague de prix, la met au sien malgré lui & lui dit hors d’haleine : Ah ! Monsieur, si vous nous la rendez, vous ne la sauverez pas seule !

Julie vit tout cela. Ce spectacle la déchira. Elle regarde son amie & lui dit d’un ton tendre & douloureux : Ah ! cruelle, que tu me fais regretter la vie ! veux-tu me faire mourir désespérée ? Faudra-t-il te préparer deux fois ? Ce peu de mots fut un coup de foudre ; il amortit aussi-tôt les transports de joie ; mais il ne put étouffer tout-à-fait l’espoir renaissant.

En un instant la réponse du médecin fut sue par toute la maison. Ces bonnes gens crurent déjà leur maîtresse guérie. Ils résolurent tout d’une voix de faire au médecin, si elle en revenait, un présent en commun pour lequel, chacun donna trois mois de ses gages & l’argent fut sur-le-champ consigné dans les mains de Fanchon, les uns prêtant aux autres ce qui leur manquoit pour cela. Cet accord se fit avec tant d’empressement,