point d’autre. Quand je conversois avec vous, quand je me recueillois seule, quand je m’efforçois de remplir les devoirs que Dieu m’impose, c’est alors que je me disposois à paroître devant lui, c’est alors que je l’adorois de toutes les forces qu’il m’a données : que ferais-je aujourd’hui que je les ai perdues ? Mon ame aliénée est-elle en état de s’élever à lui ? Ces restes d’une vie à demi éteinte, absorbés par la souffrance, sont-ils dignes de lui être offerts ? Non, monsieur, il me les laisse pour être donnés à ceux qu’il m’a fait aimer & qu’il veut que je quitte ; je leur fais mes adieux pour aller à lui ; c’est d’eux qu’il faut que je m’occupe : bientôt je m’occuperai de lui seul. Mes derniers plaisirs sur la terre sont aussi mes derniers devoirs : n’est-ce pas le servir encore & faire sa volonté, que de remplir les soins que l’humanité m’impose avant d’abandonner sa dépouille ? Que faire pour appaiser des troubles que je n’ai pas ? Ma conscience n’est point agitée ; si quelquefois elle m’a donné des craintes, j’en avois plus en santé qu’aujourd’hui. Ma confiance les efface ; elle me dit que Dieu est plus clément que je ne suis coupable & ma sécurité redouble en me sentant approcher de lui. Je ne lui porte point un repentir imparfait, tardif & forcé, qui, dicté par la peur, ne sauroit être sincere, & n’est qu’un piege pour le tromper. Je ne lui porte pas le reste & le rebut de mes jours, pleins de peine, & d’ennuis, en proie à la maladie, aux douleurs, aux angoisses de la mort & que je ne lui donnerois que quand je n’en pourrois plus rien faire. Je lui porte ma vie entiere, pleine de péchés
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