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avide cherche ailleurs de quoi la remplir : en s’élevant à la source du sentiment & de l’être, elle y perd sa sécheresse & sa langueur ; elle y renaît, elle s’y ranime, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie ; elle y prend une autre existence qui ne tient point aux passions du corps ; ou plutôt elle n’est plus en moi-même, elle est toute dans l’Etre immense qu’elle contemple & dégagée un moment de ses entraves, elle se console d’y rentrer par cet essai d’un état plus sublime qu’elle espere être un jour le sien.

Vous souriez ; je vous entends, mon bon ami ; j’ai prononcé mon propre jugement en blâmant autrefois cet état d’oraison que je confesse aimer aujourd’hui. À cela je n’ai qu’un mot à vous dire, c’est que je ne l’avois pas éprouvé. Je ne prétends pas même le justifier de toutes manieres. Je ne dis pas que ce goût sait sage ; je dis seulement qu’il est doux, qu’il supplée au sentiment du bonheur qui s’épuise, qu’il remplit le vide de l’ame, qu’il jette un nouvel intérêt sur la vie passée à le mériter. S’il produit quelque mal, il faut le rejeter sans doute ; s’il abuse le cœur par une fausse jouissance, il faut encore le rejeter. Mais enfin lequel tient le mieux à la vertu, du philosophe avec ses grands principes, ou du chrétien dans sa simplicité ? Lequel est le plus heureux des ce monde, du sage avec sa raison, ou du dévot dans son délire ? Qu’ai-je besoin de penser, d’imaginer, dans un moment où toutes mes facultés sont aliénées ? L’ivresse a ses plaisirs, disiez-vous : eh bien ! ce délire en est une. Ou laissez-moi dans cet état qui m’est