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nouveaux dont il lui pût offrir les prémices ? En est-il un moins digne d’elle que celui qui sut vous aimer ? Il faudroit avoir l’ame libre & paisible du bon & sage d’Orbe pour s’occuper d’elle seule à son exemple ; il faudroit le valoir pour lui succéder : autrement la comparaison de son ancien état lui rendroit le dernier plus insupportable ; & l’amour foible & distroit d’un second époux, loin de la consoler du premier, le lui feroit regretter davantage. D’un ami tendre & reconnaissant elle auroit fait un mari vulgaire. Gagnerait-elle à cet échange ? Elle y perdroit doublement. Son cœur délicat & sensible sentiroit trop cette perte ; & moi, comment supporterais-je le spectacle continuel d’une tristesse dont je serais cause & dont je ne pourrais la guérir ? Hélas ! j’en mourrais de douleur même avant elle. Non, Julie, je ne ferai point mon bonheur aux dépens du sien. Je l’aime trop pour l’épouser.

Mon bonheur ? Non. Serais-je heureux moi-même en ne la rendant pas heureuse ? L’un des deux peut-il se faire un sort exclusif dans le mariage ? Les biens, les maux, n’y sont-ils pas communs, malgré qu’on en ait & les chagrins qu’on se donne l’un à l’autre, ne retombent-ils pas toujours sur celui qui les cause ? Je serais malheureux par ses peines, sans être heureux par ses bienfaits. Grâces, beauté ; mérite, attachement, fortune, tout concourroit à ma félicité ; mon cœur, mon cœur seul empoisonneroit tout cela & me rendroit misérable au sein du bonheur.

Si mon état présent est plein de charme auprès d’elle, loin