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qui font vœu de n’être pas hommes. Pour les punir d’avoir tenté Dieu, Dieu les abandonne ; ils se disent saints & sont déshonnêtes ; leur feinte continence n’est que souillure ; & pour avoir dédaigné l’humanité ils s’abaissent au-dessous d’elle. Je comprends qu’il en coûte peu de se rendre difficile sur des loix qu’on n’observe qu’en apparence [1] ; mais celui qui veut être sincerement vertueux se sent assez chargé des devoirs de l’homme sans s’en imposer de nouveaux. Voilà, cher Saint-Preux, la véritable humilité du chrétien, c’est de trouver toujours sa tâche au-dessus de ses forces, bien loin d’avoir l’orgueil de la doubler. Faites-vous l’application de cette regle & vous sentirez qu’un état qui devroit seulement alarmer un autre homme doit par mille raisons vous faire trembler. Moins vous craignez, plus vous avez à craindre ; & si vous n’êtes point effrayé de vos devoirs, n’espérez pas de les remplir.

Tels sont les dangers qui vous attendent ici. Pensez-y tandis qu’il en est tems. Je sais que jamais de propos délibéré vous ne vous exposerez à mal faire & le seul mal que je crains de vous est celui que vous n’aurez pas prévu. Je ne vous dis donc pas de vous déterminer sur mes raisons, mais de les peser.

  1. Quelques hommes sont continens sans mérite, d’autres le sont par vertu & je ne doute point que plusieurs Prétres catholiques ne soient dans ce dernier cas : mais imposer le célibat à un corps aussi nombreux que le Clergé de l’Eglise Romaine, ce n’est pas tant lui défendre de n’avoir point de femmes, que lui ordonner de se contenter de celles d’autrui. Je suis surpris que dans tout pays où les bonnes mœurs sont encore en estime, les loix & les Magistrats tolerent un vœu si scandaleux.