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dans cet état effrayant qu’on peut couler des jours tranquilles & ceux mêmes qu’on a sauvé du péril n’offrent-ils pas une raison de n’y plus exposer les autres ?

Que d’occasions peuvent renaître, aussi dangereuses que celles dont vous avez échappé & qui pis est, non moins imprévues ! Croyez-vous que les monumens à craindre n’existent qu’à Meillerie ? Ils existent partout où nous sommes ; car nous les portons avec nous. Eh ! vous savez trop qu’une ame attendrie intéresse l’univers entier à sa passion & que, même après la guérison, tous les objets de la nature nous rappellent encore ce qu’on sentit autrefois en les voyant. Je crois pourtant, oui, j’ose le croire, que ces périls ne reviendront plus, & mon cœur me répond du vôtre. Mais, pour être au-dessus d’une lâcheté, ce cœur facile est-il au-dessus d’une foiblesse & suis-je la seule ici qu’il lui en coûtera peut-être de respecter ? Songez, Saint-Preux, que tout ce qui m’est cher doit être couvert de ce même respect que vous me devez ; songez que vous aurez sans cesse à porter innocemment les jeux innocens d’une femme charmante ; songez aux mépris éternels que vous auriez mérités, si jamais votre cœur osoit s’oublier un moment & profaner ce qu’il doit honorer à tant de titres.

Je veux que le devoir, la foi, l’ancienne amitié, vous arrêtent, que l’obstacle opposé par la vertu vous ôte un vain espoir & qu’au moins par raison vous étouffiez des vœux inutiles ; serez-vous pour cela délivré de l’empire des sens & des pieges de l’imagination ? Forcé de nous respecter toutes deux & d’oublier en nous notre sexe, vous