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si vives que, quand ils ont achevé leur dire, on chercheroit volontiers autour d’eux où est l’homme qui sent ce qu’ils ont écrit.

Au reste, il faut t’avouer que je suis un peu payée pour bien penser de leurs cœurs & croire qu’ils ne sont pas de mauvais goût. Tu sauras en confidence qu’un joli monsieur à marier & dit-on, fort riche, m’honore de ses attentions & qu’avec des propos assez tendres il ne m’a point fait chercher ailleurs l’auteur de ce qu’il me disait. Ah ! s’il étoit venu il y a dix-huit mois, quel plaisir j’aurois pris à me donner un souverain pour esclave, & à faire tourner la tête à un magnifique seigneur ! Mais à présent la mienne n’est plus assez droite pour que le jeu me soit agréable & je sens que toutes mes folies s’en vont avec ma raison.

Je reviens à ce goût de lecture qui porte les Genevois à penser. Il s’étend à tous les états & se fait sentir dans tous avec avantage. Le Français lit beaucoup ; mais il ne lit que les livres nouveaux, ou plutôt il les parcourt, moins pour les lire que pour dire qu’il les a lus. Le Genevois ne lit que les bons livres ; il les lit, il les digere : il ne les juge pas, mais il les sait. Le jugement & le choix se font à Paris ; les livres choisis sont presque les seuls qui vont à Geneve. Cela fait que la lecture y est moins mêlée & s’y fait avec plus de profit. Les femmes dans leur retraite [1] lisent de leur côté ; & leur ton s’en ressent

  1. On se souviendra que cette lettre est de vielle date & je crains bien que cela ne soit trop facile à voir.