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toute la partie occidentale de l’Amérique, non sans être frappé d’admiration en voyant quinze cens lieues de côte & la plus grande mer du monde sous l’empire d’une seule puissance qui tient pour ainsi dire en sa main les clefs d’un hémisphere du globe.

Après avoir traversé la grande mer, j’ai trouvé dans l’autre continent un nouveau spectacle. J’ai vu la plus nombreuse & la plus illustre nation de l’univers soumise à une poignée de brigands ; j’ai vu de près ce peuple célebre & n’ai plus été surpris de le trouver esclave. Autant de fois conquis qu’attaqué, il fut toujours en proie au premier venu & le sera jusqu’à la fin des siecles. Je l’ai trouvé digne de son sort, n’ayant pas même le courage d’en gémir. Lettré, lâche, hypocrite & charlatan ; parlant beaucoup sans rien dire, plein d’esprit sans aucun génie, abondant en signes & stérile en idées ; poli, complimenteur, adroit, fourbe & fripon ; qui met tous les devoirs en étiquettes, toute la morale en simagrées & ne connaît d’autre humanité que les salutations & les révérences. J’ai surgi dans une seconde île déserte, plus inconnue, plus charmante encore que la premiere & où le plus cruel accident faillit à nous confiner pour jamais. Je fus le seul peut-être qu’un exil si doux n’épouvanta point. Ne suis-je pas désormais partout en exil ? J’ai vu dans ce lieu de délices & d’effroi ce que peut tenter l’industrie humaine pour tirer l’homme civilisé d’une solitude où rien ne lui manque & le replonger dans un gouffre de nouveaux besoins.

J’ai vu dans le vaste Océan, où il devroit être si doux à