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te sentois pas en droit de combattre en moi le penchant qu’il eût fallu vaincre ; & craignant d’être perfide plutôt que sage, en immolant ton bonheur au nôtre, tu crus avoir assez fait pour la vertu.

Ma Claire, voilà ton histoire ; voilà comment ta tyrannique amitié me force à te savoir gré de ma honte & à te remercier de mes torts. Ne crois pas pourtant que je veuille t’imiter en cela ; je ne suis pas plus disposée à suivre ton exemple que toi le mien & comme tu n’as pas à craindre mes fautes, je n’ai plus, grace au ciel, tes raisons d’indulgence. Quel plus digne usage ai-je à faire de la vertu que tu m’as rendue, que de t’aider à la conserver ?

Il faut donc te dire encore mon avis sur ton état présent. La longue absence de notre maître n’a pas changé tes dispositions pour lui : ta liberté recouvrée & son retour ont produit une nouvelle époque dont l’amour a sçu profiter. Un nouveau sentiment n’est pas né dans ton cœur ; celui qui s’y cacha si long-tems n’a fait que se mettre plus à l’aise. Fiere d’oser te l’avouer à toi-même, tu t’es pressée de me le dire. Cet aveu te sembloit presque nécessaire pour le rendre tout-à-fait innocent ; en devenant un crime pour ton amie, il cessoit d’en être un pour toi ; & peut-être ne t’es-tu livrée au mal que tu combattois depuis tant d’années, que pour mieux achever de m’en guérir.

J’ai senti tout cela, ma chére ; je me suis peu alarmée d’un penchant qui me servoit de sauvegarde & que tu n’avois point à te reprocher. Cet hiver que nous avons passé tous ensemble au sein de la paix & de l’amitié m’a donné