Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/33

Cette page n’a pas encore été corrigée

que l’exécution en est plus avancée que tu ne pensois. Prends donc patience encore cet été, ma douce amie : il vaut mieux tarder à se rejoindre que d’avoir encore à se séparer.

Hé bien ! belle Madame, ai-je tenu parole & mon triomphe est-il complet ? Allons, qu’on se jette à genoux, qu’on baise avec respect cette lettre & qu’on reconnoisse humblement qu’au moins une fois en la vie Julie de Wolmar a été vaincue en amitié [1].




LETTRE III.


DE L’AMANT DE JULIE À MDE. D’ORBE.


Ma cousine, ma bienfaitrice, mon amie ; j’arrive des extrémités de la terre & j’en rapporte un cœur tout plein de vous. J’ai passé quatre fois la ligne ; j’ai parcouru les deux hémispheres ; j’ai vu les quatre parties du monde ; j’en ai mis le diametre entre nous ; j’ai fait le tour entier du globe & n’ai pu vous échapper un moment. On a beau fuir ce qui nous est cher, son image, plus vite que la mer & les vents, nous suit au bout de l’univers & par-tout où l’on se porte, avec soi l’on y porte ce qui nous fait vivre. J’ai beaucoup

  1. Que cette bonne Suissesse est heureuse d’être gaie, quand elle est gaie sans esprit, sans naiveté, sans finesse ! Elle ne se doute pas apprêts qu’il faut parmi nous pour faire passer la bonne humeur. Elle ne fait pas qu’on n’a point cette bonne humeur pour foi mais pour les autres & qu’on ne rit pas pour rire, mais pour être applaudi.