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mieux du présent & tu le serois bien moins s’il te restoit plus de sujet de l’être. Mais je ne puis te passer ton effroi sur le sort de notre pauvre ami. À présent que tes affections ont changé d’espece, crois qu’il ne m’est pas moins cher qu’à toi. Cependant j’ai des pressentimens tout contraires aux tiens & mieux d’accord avec la raison. Milord Edouard a reçu deux fois de ses nouvelles & m’a écrit à la seconde qu’il étoit dans la mer du Sud, ayant déjà passé les dangers dont tu parles. Tu sais cela aussi bien que moi & tu t’affliges comme si tu n’en savois rien. Mais ce que tu ne sais pas & qu’il faut t’apprendre, c’est que le vaisseau sur lequel il est a été vu il y a deux mois à la hauteur des Canaries, faisant voile en Europe. Voilà ce qu’on écrit de Hollande à mon pere & dont il n’a pas manqué de me faire part, selon sa coutume de m’instruire des affaires publiques beaucoup plus exactement que des siennes. Le cœur me dit, à moi, que nous ne serons pas long-tems sans recevoir des nouvelles de notre philosophe & que tu en seras pour tes larmes, à moins qu’après l’avoir pleuré mort, tu ne pleures de ce qu’il est en vie. Mais, Dieu merci, tu n’en es plus là.

Deh ! fosse or qui quel miser pur un poco,
Ch’é già di piangere e di viver lasso la ! [1]

Voilà ce que j’avois à te répondre. Celle qui t’aime t’offre & partage la douce espérance d’une éternelle réunion. Tu vois que tu n’en as formé le projet ni seule ni la premiere, &

  1. Eh ! Que n’est-il un moment ici ce pauvre malheureux déjà las de souffrir & de vivre !