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Depuis huit jours que cet agréable travail nous occupe, on est à peine à la moitié de l’ouvrage. Outre les vins destinés pour la vente & pour les provisions ordinaires, lesquels n’ont d’autre façon que d’être recueillis avec soin, la bienfaisante fée en prépare d’autres plus fins pour nos buveurs ; & j’aide aux opérations magiques dont je vous ai parlé, pour tirer d’un même vignoble des vins de tous les pays. Pour l’un, elle fait tordre la grappe quand elle est mûre & laisse flétrir au soleil sur la souche ; pour l’autre, elle fait égrapper le raisin & trier les grains avant de les jetter dans la cuve ; pour un autre, elle fait cueillir avant le lever du soleil du raisin rouge & le porter doucement sur le pressoir couvert encore de sa fleur & de sa rosée pour en exprimer du vin blanc. Elle prépare un vin de liqueur en mêlant dans les tonneaux du moût réduit en sirop sur le feu, un vin sec, en l’empêchant de cuver, un vin d’absinthe pour l’estomac [1], un vin muscat avec des simples. Tous ces vins différens ont leur apprêt particulier ; toutes ces préparations sont saines & naturelles ; c’est ainsi qu’une économe industrie supplée à la diversité des terrains & rassemble vingt climats en un seul.

Vous ne sauriez concevoir avec quel zele, avec quelle gaieté tout cela se fait. On chante, on rit toute la journée & le travail n’en va que mieux. Tout vit dans la plus grande familiarité ; tout le monde est égal & personne ne s’oublie. Les

  1. En Suisse on boit beaucoup de vin d’absynthe ; & en général, comme les herbes des Alpes ont plus de vertu que dans les plaines, on y fait plus d’usage des infusions.