valoir moins que Julie, en ce que sans Julie elle vaudroit bien moins encore ; & puis à te dire la vérité, je crois que nous avions grand besoin l’une de l’autre & que chacune des deux y perdroit beaucoup si le sort nous eût séparées.
Ce qui me fâche le plus dans les affaires qui me retiennent encore ici, c’est le risque de ton secret, toujours prêt à s’échapper de ta bouche. Considere, je t’en conjure, que ce qui te porte à le garder est une raison forte & solide & que ce qui te porte à le révéler n’est qu’un sentiment aveugle. Nos soupçons même que ce secret n’en est plus un pour celui qu’il intéresse, nous sont une raison de plus pour ne le lui déclarer qu’avec la plus grande circonspection. Peut-être la réserve de ton mari est-elle un exemple & une leçon pour nous : car en de pareilles matieres il y a souvent une grande différence entre ce qu’on feint d’ignorer & ce qu’on est forcé de savoir. Attends donc, je l’exige, que nous en délibérions encore une fois. Si tes pressentimens étoient fondés & que ton déplorable ami ne fût plus, le meilleur parti qui resteroit à prendre seroit de laisser son histoire & tes malheurs ensevelis avec lui. S’il vit, comme je l’espere, le cas peut devenir différent ; mais encore faut-il que ce cas se présente. En tout état de cause crois-tu ne devoir aucun égard aux derniers conseils d’un infortuné dont tous les maux sont ton ouvrage ?
À l’égard des dangers de la solitude, je conçois & j’approuve tes alarmes, quoique je les sache très-mal fondées. Tes fautes passées te rendent craintive ; j’en augure d’autant