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apportées de la Chine & qui firent beaucoup d’effet. Nous veillâmes fort avant dans la nuit. Il falut enfin se quitter, Mde. d’Orbe étoit lasse ou devoit l’être & Julie voulut qu’on se couchât de bonne heure.

Insensiblement le calme renaît & l’ordre avec lui. Claire, toute folâtre qu’elle est, sait prendre, quand il lui plaît, un ton d’autorité qui en impose. Elle a d’ailleurs du sens, un discernement exquis, la pénétration de Wolmar, la bonté de Julie & quoique extrêmement libérale, elle ne laisse pas d’avoir aussi beaucoup de prudence ; en sorte que, restée veuve si jeune & chargée de la garde-noble de sa fille, les biens de l’une & de l’autre n’ont fait que prospérer dans ses mains : ainsi l’on n’a pas lieu de craindre que, sous ses ordres, la maison soit moins bien gouvernée qu’auparavant. Cela donne à Julie le plaisir de se livrer tout entiere à l’occupation qui est le plus de son goût, savoir, l’éducation des enfans ; & je ne doute pas qu’Henriette ne profite extrêmement de tous les soins dont une de ses meres aura soulagé l’autre. Je dis ses meres ; car, à voir la maniere dont elles vivent avec elle, il est difficile de distinguer la véritable ; & des étrangers qui nous sont venus aujourd’hui sont ou paraissent là-dessus encore en doute. En effet, toutes deux l’appellent Henriette, ou ma fille, indifféremment. Elle appelleMaman l’une & l’autre petite Maman ; la même tendresse regne de part & d’autre ; elle obéit également à toutes deux. S’ils demandent aux dames à laquelle elle appartient, chacune répond : À moi. S’ils interrogent Henriette, il se trouve qu’elle a deux meres ; on seroit embarrassé