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retraite avec celui qui partage notre existence & ne peut partager l’espoir qui nous la rend chére ; de ne pouvoir avec lui ni bénir les œuvres de Dieu, ni parler de l’heureux avenir que nous promet sa bonté ; de le voir insensible, en faisant le bien, à tout ce qui le rend agréable à faire & par la plus bizarre inconséquence, penser en impie & vivre en chrétien ! Imaginez Julie à la promenade avec son mari : l’une admirant, dans la riche & brillante parure que la terre étale, l’ouvrage & les dons de l’auteur de l’univers ; l’autre ne voyant en tout cela qu’une combinaison fortuite, où rien n’est lié que par une force aveugle. Imaginez deux époux sincerement unis, n’osant, de peur de s’importuner mutuellement, se livrer, l’un aux réflexions, l’autre aux sentimens que leur inspirent les objets qui les entourent & tirer de leur attachement même le devoir de se contraindre incessamment. Nous ne nous promenons presque jamais, Julie & moi, que quelque vue frappante & pittoresque ne lui rappelle ces idées douloureuses. Hélas ! dit-elle avec attendrissement, le spectacle de la nature, si vivant, si animé pour nous, est mort aux yeux de l’infortuné Wolmar & dans cette grande harmonie des êtres où tout parle de Dieu d’une voix si douce, il n’aperçoit qu’un silence éternel.

Vous qui connaissez Julie, vous qui savez combien cette ame communicative aime à se répandre, concevez ce qu’elle souffriroit de ces réserves, quand elles n’auroient d’autre inconvénient qu’un si triste partage entre ceux à qui tout doit être commun. Mais des idées plus funestes s’élevent, malgré qu’elle en ait, à la suite de celle-là. Elle a beau vouloir rejetter