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pu les exécuter encore malgré les soins de M. de Wolmar, c’est que les difficultés semblent croître avec mon zele à les surmonter. Mais mon zele sera le plus fort & avant que l’été se passe, j’espere me réunir à toi pour le reste de nos jours.

Il reste à me justifier du reproche de te cacher mes peines, & d’aimer à pleurer loin de toi : je ne le nie pas, c’est à quoi j’emploie ici le meilleur tems que j’y passe. Je n’entre jamais dans ma maison sans y retrouver des vestiges de celui qui me la rendoit chére. Je n’y fais pas un pas, je n’y fixe pas un objet sans appercevoir quelque signe de sa tendresse & de la bonté de son cœur ; voudrois-tu que le mien n’en fût pas ému ? Quand je suis ici, je ne sens que la perte que j’ai faite. Quand je suis près de toi, je ne vois que ce qui m’est resté. Peux-tu me faire un crime de ton pouvoir sur mon humeur ? Si je pleure en ton absence & si je ris près de toi, d’où vient cette différence ? Petite ingrate, c’est que tu me consoles de tout & que je ne sais plus m’affliger de rien quand je te possede.

Tu as dit bien des choses en faveur de notre ancienne amitié ; mais je ne te pardonne pas d’oublier celle qui me fait le plus d’honneur ; c’est de te chérir quoique tu m’éclipses. Ma Julie, tu es faite pour régner. Ton empire est le plus absolu que je connoisse. Il s’étend jusque sur les volontés & je l’éprouve plus que personne. Comment cela se fait-il, cousine ? Nous aimons toutes deux la vertu ; l’honnêteté nous est également chére ; nos talens sont les mêmes ; j’ai presque autant d’esprit que toi & ne suis guere moins jolie. Je sais fort bien tout cela & malgré tout cela tu m’en