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d’élever assez bien les enfans que Dieu m’a donnés, sous la direction de leur pere, pour qu’ils aient un jour le bonheur de lui ressembler. J’ai tâché pour cela de m’approprier les regles qu’il m’a prescrites, en leur donnant un principe moins philosophique & plus convenable à l’amour maternel : c’est de voir mes enfans heureux. Ce fut le premier vœu de mon cœur en portant le doux nom de mere & tous les soins de mes jours sont destinés à l’accomplir. La premiere fois que je tins mon fils aîné dans mes bras, je songeai que l’enfance est presque un quart des plus longues vies, qu’on parvient rarement aux trois autres quarts & que c’est une bien cruelle prudence de rendre cette premiere portion malheureuse pour assurer le bonheur du reste, qui peut-être ne viendra jamais. Je songeai que, durant la foiblesse du premier âge, la nature assujettit les enfans de tant de manieres, qu’il est barbare d’ajouter à cet assujettissement l’empire de nos caprices en leur ôtant une liberté si bornée & dont ils peuvent si peu abuser. Je résolus d’épargner au mien toute contrainte autant qu’il seroit possible, de lui laisser tout l’usage de ses petites forces & de ne gêner en lui nul des mouvemens de la nature. J’ai déjà gagné à cela deux grands avantages : l’un, d’écarter de son ame naissante le mensonge, la vanité, la colere, l’envie, en un mot tous les vices qui naissent de l’esclavage & qu’on est contraint de fomenter dans les enfans pour obtenir d’eux ce qu’on en exige ; l’autre, de laisser fortifier librement son corps par l’exercice continuel que l’instinct lui demande. Accoutumé tout comme les paysans à courir tête nue au soleil, au froid, à s’essouffler, à se mettre