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aussi aisé de faire un blond d’un brun & d’un sot un homme d’esprit. C’est donc en vain qu’on prétendroit refondre les divers esprits sur un modele commun. On peut les contraindre & non les changer : on peut empêcher les hommes de se montrer tels qu’ils sont, mais non les faire devenir autres ; & s’ils se déguisent dans le cours ordinaire de la vie, vous les verrez dans toutes les occasions importantes reprendre leur caractere originel & s’y livrer avec d’autant moins de regle qu’ils n’en connaissent plus en s’y livrant. Encore une fois, il ne s’agit point de changer le caractere & de plier le naturel, mais au contraire de le pousser aussi loin qu’il peut aller, de le cultiver & d’empêcher qu’il ne dégénere ; car c’est ainsi qu’un homme devient tout ce qu’il peut être & que l’ouvrage de la nature s’acheve en lui par l’éducation. Or, avant de cultiver le caractere il faut l’étudier, attendre paisiblement qu’il se montre, lui fournir les occasions de se montrer & toujours s’abstenir de rien faire plutôt que d’agir mal à propos. À tel génie il faut donner des ailes, à d’autres des entraves ; l’un veut être pressé, l’autre retenu ; l’un veut qu’on le flatte & l’autre qu’on l’intimide : il faudroit tantôt éclairer, tantôt abrutir. Tel homme est fait pour porter la connoissance humaine jusqu’à son dernier terme ; à tel autre il est même funeste de savoir lire. Attendons la premiere étincelle de la raison ; c’est elle qui fait sortir le caractere & lui donne sa véritable forme ; c’est par elle aussi qu’on le cultive & il n’y a point avant la raison de véritable éducation pour l’homme.

Quant aux maximes de Julie que vous mettez en opposition,