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davantage à leur mere ; je leur aurois presque désiré des défauts, pour la voir plus empressée à les corriger.

Apres m’être occupé long-tems de ces réflexions en silence, je l’ai rompu pour les lui communiquer. Je vois, lui ai-je dit, que le Ciel récompense la vertu des meres par le bon naturel des enfans ; mais ce bon naturel veut être cultivé. C’est des leur naissance que doit commencer leur éducation. Est-il un tems plus propre à les former que celui où ils n’ont encore aucune forme à détruire ? Si vous les livrez à eux-mêmes des leur enfance, à quel âge attendrez-vous d’eux de la docilité ? Quand vous n’auriez rien à leur apprendre, il faudroit leur apprendre à vous obéir. Vous apercevez-vous, a-t-elle répondu, qu’ils me désobéissent ? Cela seroit difficile, ai-je dit, quand vous ne leur commandez rien. Elle s’est mise à sourire en regardant son mari ; & me prenant par la main, elle m’a mené dans le cabinet où nous pouvions causer tous trois sans être entendus des enfants.

C’est là que, m’expliquant à loisir ses maximes, elle m’a fait voir sous cet air de négligence la plus vigilante attention qu’ait jamais donnée la tendresse maternelle. Longtemps, m’a-t-elle dit, j’ai pensé comme vous sur les instructions prématurées ; & durant ma premiere grossesse, effrayé de tous mes devoirs & des soins que j’aurois bientôt à remplir, j’en parlois souvent à M. de Wolmar avec inquiétude. Quel meilleur guide pouvais-je prendre en cela, qu’un observateur éclairé qui joignoit à l’intérêt d’un pere le sang-froid d’un philosophe ? Il remplit & passa mon attente ; il dissipa mes