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LETTRE III. [1]


DE SAINT PREUX À MILORD EDOUARD.


Nous avons eu des hôtes ces jours derniers. Ils sont repartis hier & nous recommençons entre nous trois une société d’autant plus charmante qu’il n’est rien resté dans le fond des cœurs qu’on veuille se cacher l’un à l’autre. Quel plaisir je goûte à reprendre un nouvel être qui me rend digne de votre confiance ! Je ne reçois pas une marque d’estime de Julie & de son mari que je ne me dise avec une certaine fierté d’âme : Enfin j’oserai me montrer à lui. C’est par vos soins, c’est sous vos yeux, que j’espere honorer mon état présent de mes fautes passées. Si l’amour éteint jette l’âme dans l’épuisement, l’amour subjugué lui donne, avec la conscience de sa victoire, une élévation nouvelle & un attrait plus vif pour tout ce qui est grand & beau. Voudrait-on perdre le fruit d’un sacrifice qui nous a coûté si cher ? Non, milord ; je sens qu’à votre exemple mon cœur va mettre à profit tous les ardens sentimens qu’il a vaincus. Je sens qu’il

  1. Deux lettres écrites en différens tems rouloient sur le sujet de celle-ci, ce qui occasionnoit bien des répétitions inutiles. Pour les retrancher, j’ai réuni ces deux lettres en une seule. Au reste, sans prétendre justifier l’excessive longueur de plusieurs des lettres dont ce recueil est composé, je remarquerai que les lettres des solitaires sont longues & rares, celles des gens du monde fréquentes & courtes. Il ne faut qu’observer cette différence pour en sentir a l’instant la raison.