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de soin par un paysan que par vous. C’est une erreur, me répondit Wolmar ; le paysan se soucie moins d’augmenter le produit que d’épargner sur les frais, parce que les avances lui sont plus pénibles que les profits ne lui sont utiles ; comme son objet n’est pas tant de mettre un fonds en valeur que d’y faire peu de dépense, s’il s’assure un gain actuel c’est bien moins en améliorant la terre qu’en l’épuisant & le mieux qui puisse arriver est qu’au lieu de l’épuiser il la néglige. Ainsi pour un peu d’argent comptant recueilli sans embarras, un propriétaire oisif prépare à lui ou à ses enfans de grandes pertes, de grands travaux & quelquefois la ruine de son patrimoine.

D’ailleurs, poursuivit M. de Wolmar, je ne disconviens pas que je ne fasse la culture de mes terres à plus grands frais que ne feroit un fermier ; mais aussi le profit du fermier c’est moi qui le fais & cette culture étant beaucoup meilleure le produit est beaucoup plus grand ; de sorte qu’en dépensant davantage, je ne laisse pas de gagner encore. Il y a plus ; cet excès de dépense n’est qu’apparent & produit réellement une très-grande économie : car, si d’autres cultivoient nos terres, nous serions oisifs ; il faudroit demeurer à la ville, la vie y seroit plus chere ; il nous faudroit des amusemens qui nous coûteroient beaucoup plus que ceux que nous trouvons ici & nous seroient moins sensibles. Ces soins que vous appelez importuns font à la fois nos devoirs & nos plaisirs ; grace à la prévoyance avec laquelle on les ordonne, ils ne sont jamais pénibles ; ils nous tiennent lieu d’une foule de fantaisies ruineuses dont la vie champêtre prévient ou détruit