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ne sais quoi de doux & de touchant que n’a pas le contentement ? & l’amitié n’a-t-elle pas été spécialement donnée aux malheureux pour le soulagement de leurs maux & la consolation de leurs peines ?

Voilà, ma chére, des considérations que tu devrois faire & auxquelles il faut ajouter qu’en te proposant de venir demeurer avec moi, je ne te parle pas moins au nom de mon mari qu’au mien. Il m’a paru plusieurs fois surpris, presque scandalisé, que deux amies telles que nous n’habitassent pas ensemble ; il assure te l’avoir dit à toi-même & il n’est pas homme à parler inconsidérément. Je ne sais quel parti tu prendras sur mes représentations ; j’ai lieu d’espérer qu’il sera tel que je le désire. Quoi qu’il en soit, le mien est pris & je n’en changerai pas. Je n’ai point oublié le tems où tu voulois me suivre en Angleterre. Amie incomparable, c’est à présent mon tour. Tu connois mon aversion pour la ville, mon goût pour la campagne, pour les travaux rustiques & l’attachement que trois ans de séjour m’ont donné pour ma maison de Clarens. Tu n’ignores pas, non plus, quel embarras c’est de déménager avec toute une famille ; & combien ce seroit abuser de la complaisance de mon pere de le transplanter si souvent. Hé bien ! si tu ne veux pas quitter ton ménage & venir gouverner le mien, je suis résolue à prendre une maison à Lausanne où nous irons tous demeurer avec toi. Arrange-toi là-dessus ; tout le veut ; mon cœur, mon devoir, mon bonheur, mon honneur conservé, ma raison recouvrée, mon état, mon mari, mes enfans, moi-même, je te dois tout ; tout ce que j’ai de bien me