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est susceptible & le bonheur dont elle peut jouir dans l’obscurité de la vie privée, sans le secours des vertus éclatantes qui peuvent l’élever au-dessus d’elle-même, ni de la gloire qui les peut honorer. Sa faute, si c’en fut une, n’a servi qu’à déployer sa force & son courage. Ses parents, ses amis, ses domestiques, tous heureusement nés, étoient faits pour l’aimer & pour en être aimés. Son pays étoit le seul où il lui convînt de naître ; la simplicité qui la rend sublime, devoit régner autour d’elle ; il lui faloit pour être heureuse vivre parmi des gens heureux. Si pour son malheur elle fût née chez des peuples infortunés qui gémissent sous le poids de l’oppression & luttent sans espoir & sans fruit contre la misere qui les consume, chaque plainte des opprimés eût empoisonné sa vie ; la désolation commune l’eût accablée & son cœur bienfaisant, épuisé de peines & d’ennuis, lui eût fait éprouver sans cesse les maux qu’elle n’eût pu soulager.

Au lieu de cela, tout anime & soutient ici sa bonté naturelle. Elle n’a point à pleurer les calamités publiques. Elle n’a point sous les yeux l’image affreuse de la misere & du désespoir. Le Villageois à son aise [1] a plus besoin de ses avis que de ses dons. S’il se trouve quelque orphelin trop jeune pour gagner sa vie, quelque veuve oubliée qui souffre en secret, quelque vieillard

  1. Il y a pres de Clarens un village appelle Moutru, dont la Commune seule est assez riche pour entre-tenir tous les Communiers, n’eussent ils pas un pounce de terre en propre. Aussi la bourgeoisse de ce village est-elle presque aussi difficile à acquérir que celle de Berne. Quel dommage qu’il n’y ait pas là quelque honnête hommes de Subdélégué, pour rendre Messieurs de Moutru plus sociables & leur bourgeoisie un peu moins chére !