Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/205

Cette page n’a pas encore été corrigée

des expédiens ruineux au moindre accident imprévu l’a déjà remboursé bien des fois de cette avance. Ainsi l’ordre & la regle lui tiennent lieu d’épargne & il s’enrichit de ce qu’il a dépensé.

Les maîtres de cette maison jouissent d’un bien médiocre selon les idées de fortune qu’on a dans le monde ; mais au fond je ne connois personne de plus opulent qu’eux. Il n’y a point de richesse absolue. Ce mot ne signifie qu’un rapport de surabondance entre les desirs & les facultés de l’homme riche. Tel est riche avec un arpent de terre ; tel est gueux au milieu de ses monceaux d’or. Le désordre & les fantaisies n’ont point de bornes & font plus de pauvres que les vrais besoins. Ici la proportion est établie sur un fondement qui la rend inébranlable, savoir le parfait accord des deux époux. Le mari s’est chargé du recouvrement des rentes, la femme en dirige l’emploi & c’est dans l’harmonie qui regne entre eux qu’est la source de leur richesse.

Ce qui m’a d’abord le plus frappé dans cette maison, c’est d’y trouver l’aisance, la liberté, la gaieté au milieu de l’ordre & de l’exactitude. Le grand défaut des maisons bien réglées est d’avoir un air triste & contraint. L’extrême sollicitude des chefs sent toujours un peu l’avarice. Tout respire la gêne autour d’eux ; la rigueur de l’ordre a quelque chose de servile qu’on ne supporte point sans peine. Les domestiques font leur devoir, mais ils le font d’un air mécontent & craintif. Les hôtes sont bien reçus, mais ils n’usent qu’avec défiance de la liberté qu’on leur donne &