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LETTRE II. DE SAINT PREUX À MILORD EDOUARD.

Oui, Milord, je vous le confirme avec des transports de joie, la scene de Meillerie a été la crise de ma folie & de mes maux. Les explications de M. de Wolmar m’ont entierement rassuré sur le véritable état de mon cœur. Ce cœur trop foible est guéri tout autant qu’il peut l’être & je préfere la tristesse d’un regret imaginaire à l’effroi d’être sans cesse assiégé par le crime. Depuis le retour de ce digne ami, je ne balance plus à lui donner un nom si cher & dont vous m’avez si bien fait sentir tout le prix. C’est le moindre titre que je doive à quiconque aide à me rendre à la vertu. La paix est au fond de mon ame comme dans le séjour que j’habite. Je commence à m’y voir sans inquiétude, à y vivre comme chez moi ; & si je n’y prends pas tout-à-fait l’autorité d’un maître, je sens plus de plaisir encore à me regarder comme l’enfant de la maison. La simplicité, l’égalité que j’y vois régner ont un attrait qui me touche & me porte au respect. Je passe des jours sereins entre la raison vivante & la vertu sensible. En fréquentant ces heureux époux, leur ascendant me gagne & me touche insensiblement & mon cœur se met par degrés à l’unisson des leurs, comme la voix prend sans qu’on y songe le ton des gens avec qui l’on parle.

Quelle retraite délicieuse ! quelle charmante habitation !