Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/199

Cette page n’a pas encore été corrigée

lâcheté. Osez-vous bien compter sur vous avec un cœur sans courage ? Malheureux ! Si Julie étoit foible, tu succomberois demain & ne serois qu’un vil adultere. Mais te voilà resté seul avec elle ; apprends à la connoître & rougis de toi.

J’espere pouvoir bientôt vous aller joindre. Vous savez à quoi ce voyage est destiné. Douze ans d’erreurs & de troubles me rendent suspect à moi-même : pour résister j’ai pu me suffire, pour choisir il me faut les yeux d’un ami ; & je me fais un plaisir de rendre tout commun entre nous, la reconnaissance aussi bien que l’attachement. Cependant, ne vous y trompez pas ; avant de vous accorder ma confiance, j’examinerai si vous en êtes digne & si vous méritez de me rendre les soins que j’ai pris de vous. Je connois votre cœur, j’en suis content ; ce n’est pas assez ; c’est de votre jugement que j’ai besoin dans un choix où doit présider la raison seule & où la mienne peut m’abuser. Je ne crains pas les passions qui, nous faisant une guerre ouverte, nous avertissent de nous mettre en défense, nous laissent, quoi qu’elles fassent, la conscience de toutes nos fautes & auxquelles on ne cede qu’autant qu’on leur veut céder. Je crains leur illusion qui trompe au lieu de contraindre & nous fait faire sans le savoir, autre chose que ce que nous voulons. On n’a besoin que de soi pour réprimer ses penchans ; on a quelquefois besoin d’autrui pour discerner ceux qu’il est permis de suivre ; & c’est à quoi sert l’amitié d’un homme sage, qui voit pour nous sous un autre point de vue les objets que nous avons intérêt à bien connoître. Songez