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résolu de n’en revenir qu’après avoir vu la fin de ce long proces, dont il ne veut pas nous laisser l’embarras & ne se fiant pas trop non plus, je pense, à notre zele à le poursuivre. Dans l’intervalle de son départ à son retour, je resterai seule avec mon mari & je sens qu’il sera presque impossible que mon fatal secret ne m’échappe. Quand nous avons du monde, tu sais que M. de Wolmar quitte souvent la compagnie & fait volontiers seul des promenades aux environs : il cause avec les paysans ; il s’informe de leur situation ; il examine l’état de leurs terres ; il les aide au besoin de sa bourse & de ses conseils. Mais quand nous sommes seuls, il ne se promene qu’avec moi ; il quitte peu sa femme & ses enfans & se prête à leurs petits jeux avec une simplicité si charmante qu’alors je sens pour lui quelque chose de plus tendre encore qu’à l’ordinaire. Ces momens d’attendrissement sont d’autant plus périlleux pour la réserve, qu’il me fournit lui-même les occasions d’en manquer & qu’il m’a cent fois tenu des propos qui sembloient m’exciter à la confiance. Tôt ou tard il faudra que je lui ouvre mon cœur, je le sens ; mais puisque tu veux que ce soit de concert entre nous & avec toutes les précautions que la prudence autorise, reviens & fais de moins longues absences, ou je ne réponds plus de rien.

Ma douce amie, il faut achever & ce qui reste importe assez pour me coûter le plus à dire. Tu ne m’es pas seulement nécessaire quand je suis avec mes enfans ou avec mon mari, mais sur-tout quand je suis seule avec ta pauvre Julie & la solitude m’est dangereuse précisément parce qu’elle m’est douce & que souvent je la cherche sans y songer. Ce n’est