tout homme qui n’aimera pas à passer les beaux jours dans un lieu si simple & si agréable n’a pas le goût pur ni l’ame saine. J’avoue qu’il n’y faut pas amener en pompe les étrangers ; mais en revanche on s’y peut plaire soi-même, sans le montrer à personne.
Monsieur, lui dis-je, ces gens si riches qui font de si beaux jardins ont de fort bonnes raisons pour n’aimer guere à se promener tout seul, ni à se trouver vis-à-vis d’eux-mêmes ; ainsi ils font tres bien de ne songer en cela qu’aux autres. Au reste, j’ai vu à la Chine des jardins tels que vous les demandez & faits avec tant d’art que l’art n’y paraissoit point, mais d’une maniere si dispendieuse & entretenus à si grands frais, que cette idée m’ôtoit tout le plaisir que j’aurois pu goûter à les voir. C’étoient des roches, des grottes, des cascades artificielles, dans des lieux plains & sablonneux où l’on n’a que de l’eau de puits ; c’étoient des fleurs & des plantes rares de tous les climats de la Chine & de la Tartarie rassemblées & cultivées en un même sol. On n’y voyoit à la vérité ni belles allées ni compartimens réguliers ; mais on y voyoit entassées avec profusion des merveilles qu’on ne trouve qu’éparses,
spectateur. On perdroit, il est vrai, l’agrément des poins de vue ; mais on gagneroit l’avantage si cher aux propriétaires d’agrandir à l’imagination le lieu où l’on est & dans le milieu d’une étoile assez bornée on se croiroit perdu dans un parc immense. Je suis persuadé que la promenade en seroit aussi moins ennuyeuse quoique plus solitaire ; car tout ce qui donne prise à l’imagination excite les idées & nourrit l’esprit ; mais les faiseurs de jardins ne sont pas gens à sentir ces choses-là. Combien de fois dans un lieu rustique le crayon leur tomberoit des mains, comme à Le Nostre dans le parc de St. James, s’ils connoissoient comme lui ce qui donne de la vie à la nature & de l’intérêt a son spectacle ?